UNE FABLE DE MON JARDIN
Trois arbres nouveaux conversaient sous le hangar. Ils attendaient
leur plantation.
- Moi, disait un jeune cerisier, je fleuris toujours de bonne heure.
Ce n'est pas pour me distinguer. Non, je suis la modestie même. Je fleuris
de bonne heure parce que c'est une vieille habitude dans ma noble famille.
Je fleuris d'une façon merveilleuse! Quelles pétales! Et quel parfum! Et,
quand vient la défloraison, quelle pluie blanche et rose! Et quel tapis sur le
sol, à mes pieds! Vous verrez, c'est merveilleux! Les fruits que nous don-
nons dans la famille sont renommés dans tout l'univers. Pensez: le bigar-
reau!' Nous faisons le bigarreau blanc. Et vous, monsieur mon voisin?
-Moi, a répondu le voisin d'un ton rude, moi, c'est la poire.
-La poire! C'est très intéressant. Vous n'avez pas de noyau?
Georges Duhamel
-Dieu merci, non! Je donne des poires on me laisse tranquille. Dans ce cas, je ferai peut-être une ou
deux poires. S'ils me taillent, s'ils me tourmentent, alors rien!
-C'est très intéressant. Et vous le petit, là-bas? Oui, vous, qu'est-ce que vous faites?...
Cet arbre était un petit pommier, tout chétif.
-Oh! a répondu le pommier à voix basse, moi, je fais ce que je peux.
On a planté les arbres en terre. La première
année, le cerisier a montré ses belles fleurs et a
donné quatre ou cinq cerises. Le poirier n'a rien
donné. Le pommier, qu'on avait placé dans un coin
ombragé, nous a offert un panier de pommes.
Dix ans après, le petit pommier continue de
nous étonner par sa générosité. Le poirier tient sa
parole: il n'a jamais donné de fruits. Le cerisier, à
chaque retour d'avril dit: Vous allez voir ce que
vous allez voir!" Et son beau feu d'artifice,
régulièrement, se termine par un déjeuner de moi-
neau.
D'après G. Duhamel,
Fables de mon jardin